Cruelle berceuse

Théodore Botrel

La pauvre veuve en sa chaumière
A son petit chantait tout bas :
“Le flôt déjà m’a pris ton frère;
Il l’aimait trop : ne l’aime pas !”
– Berce – disait la Mer perverse –
Serre-le bien dans tes deux bras :
Berce, berce,
Berce ton gâs !

Lorsque la Mer était très douce
Le petit gâs lui murmurait :
“Espère un peu : je serai mousse,
Dès mes douze ans, je partirai !”
– Rêve – disait le vent de grêve –
Rêve au beau jour où tu fuiras :
Rêve, rêve,
Rêve, mon gâs !

Lorsque la Mer était mauvaise
Le petit gâs, à demi-nu,
Chantait, debout sur la falaise,
Le front tourné vers l’inconnu !
– Chante – disait la Mer méchante –
Chante aussi fort que tu pourras :
Chante, chante,
Chante, mon gâs !

Un jour enfin, la pauvre Veuve
A vu partir son dernier né :
S’en est allé vers Terre-Neuve
Comme autrefois son frère aîné !
– Danse ! le Flot roule en cadence ;
Jusqu’à ta mort tu danseras :
Danse, danse,
Danse, mon gâs !

Son gâs parti, la pauvre femme
L’espère en vain depuis un an
En maudissant la Mer infâme
Qui lui répond, en ricanant :
– Pleure et gémis, hurle à cette heure :
J’ai, mieux que toi, serré mon bras…
Pleure, pleure,
Pleure ton gâs !

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